cliquerAntony, le 16 décembre 2020
L’isolement rendu « obligatoire » par des mesures de contrôle coercitives, une dangereuse « fausse bonne idée ».
On nous annonce un « débat démocratique » en janvier sur l’isolement rendu « obligatoire » en vue d’un déconfinement plus généralisé.
J’ai donc décidé de vous transmettre la note élaborée par le Professeur Renaud Piarroux, épidémiologiste, infectiologue, chef de service de parasitologie et de mycologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et Leïla Del Rouich. Cliquer ici pour lire la note
Cette note explique cliniquement pourquoi et comment la politique menée jusqu’à présent n’a pas permis de rompre les chaînes de contamination et décrit comment une méthode qui a été expérimentée et qui a fait ses preuves pourrait être efficace s’il y avait une vraie volonté de la généraliser.
Le Professeur Piarroux a en effet mis en place depuis mars une expérimentation qui a fait ses preuves et qui est maintenant plus connue sous le nom de COVISAN.
COVISAN à Paris, Aubervilliers et Colombes, CORHESAN à Marseille, YANACOV à Cayenne et en Guyane, peu importe le nom, c’est la même méthode, elle fonctionne. Elle repose sur la coopération et sur la confiance.
Le Professeur Piarroux est « le seul Général à avoir gagné une bataille » en matière sanitaire, celle de l’élimination de l’épidémie de choléra en Haïti.
Alors je propose de lui faire confiance et comme il le dit si bien avec beaucoup d’humanité :
« La confiance se perd facilement. Commençons à être subtils, et nous aurons de bien meilleurs résultats ».
J’en profite par ailleurs pour livrer de mon côté ma propre analyse du premier dé-confinement et des modalités qui s’annoncent pour le deuxième, à la lumière de mes expériences de terrain et de mes rencontres :
Dès le 27 avril à la veille du discours du Premier Ministre sur la stratégie nationale de dé-confinement, j’écrivais une tribune mettant en avant les raisons de l’échec annoncé de l’application Stop Covid et la nécessité de privilégier des méthodes qui ont fait leurs preuves sur le terrain : celles qui replacent la confiance et les interactions humaines au centre de la politique de rupture des chaînes de contamination.
Je mettais alors en avant l’expérimentation lancée par le Professeur Renaud Piarroux. Méthode qui allait devenir plus connue sous le nom de COVISAN.
Le 28 avril, dans son discours devant la représentation nationale, le Premier Ministre décrivait assez bien la problématique mais réduisait l’espoir de créer une véritable dynamique de terrain.
Le choix était fait de placer la Caisse d’Assurance Maladie au centre de la politique sanitaire, un système centralisé et vertical qui allait malheureusement devenir dans la pratique l’unique pilier sur lequel allait reposer la politique de dépistage.
Saturé et dépourvu de tout accompagnement humain sur le terrain, il allait vite s’avérer inadapté.
Quant à l’application numérique Stop Covid lancée en juin et présentée comme « une brique » essentielle de la politique permettant de rompre la chaîne de contamination, son échec, pourtant annoncé, allait devoir être officialisé par le Premier Ministre lui-même dès octobre.
Rien n’était alors mis en œuvre pour promouvoir ce qui consiste en une approche ciblée des cas et l’application des mesures de suivi étroit des patients sur le terrain.
Le 14 octobre, lors de son intervention télévisée, le Président de la République lui-même était bien obligé de reconnaître en creux l’échec de la politique de dépistage lors de son intervention télévisée, comme en témoignait Dominique Castogliola, épidémiologiste et directrice de recherches à l’INSERM, sur la matinale de France inter le 23 novembre :
« On a trop cru que dépister c'était faire un acte de biologie médicale, et puis que ça suffisait et que derrière tout allait, mais pas du tout. Comment vous faites pour accompagner concrètement une personne à qui vous annoncez un test positif, pour qu'elle puisse protéger les gens qu'elle côtoie et ne pas les infecter ? Comment vous repérez qui l'a contaminée pour essayer d'explorer la chaîne ? Comment vous contactez qui sont ses contacts et à nouveau ces gens-là, il ne faut pas juste leur envoyer un SMS, il faut leur parler, discuter avec eux, quelles sont les mesures à prendre dans leur situation particulière. Ça n'est pas pareil si j'habite tout seul dans 100m2 et si on est 5 dans 50m2 ».
Quelles leçons allaient en être tirées ?
Le mantra désormais habituel du Président de la République : "Garder le cap, aller plus vite et plus fort". L’infanterie suivra. Sans se préoccuper de la « mécanique » ou de la « logistique ». Bref, « more of the same » selon la fameuse formule. Et malheureusement « plus » de ce qui n’a pourtant pas marché.
En effet huit mois après, non seulement ceux qui nous dirigent n’ont pas tiré les leçons du passé mais ils s’apprêtent à faire une seconde erreur beaucoup plus grave encore, celle du dépistage systématique sans priorisation sur la base de tests non fiables et de l’isolement obligatoire. Relayés en cela par certains groupes à l’Assemblée Nationale.
Si le Président de la République part de constats justes, les conclusions qu’il en tire ne reposent pas véritablement sur une appréciation, quant à elle, juste de la réalité de la situation : manque de fiabilité des tests, non prise en compte concrète de la période pendant laquelle s’inscrit le risque de contagiosité, simplification de la signification du mot « isolement », méconnaissance de la manière dont se réalise la circulation du virus, et donc de ce qu’il faudrait effectivement faire pour casser la chaîne de contamination.
L’isolement peut prendre des formes multiples et ne signifie pas obligatoirement « rester chez soi ». On peut d’ailleurs rester chez soi et continuer à contaminer. On peut aller travailler et pourtant protéger celles et ceux qui nous entourent. Pour ajuster au plus près et être efficient, l’accompagnement humain est donc indispensable. En revanche rendre obligatoire l’isolement est une « fausse bonne idée » comme le démontre le Professeur Piarroux et conduirait surtout à l’inverse du résultat espéré.
Si l’on s’apprête « en théorie » à promouvoir la notion d’accompagnement à travers la réserve sanitaire, c’est en associant intellectuellement la méthode du Pr Piarroux à des mesures de contrôle obligatoires et coercitives. C’est pourtant le contraire de l’essence même de sa méthode.
Or l’enjeu est crucial. Nous allons commencer partiellement à dé-confiner mi-décembre. Nous n’avons aucune visibilité pour janvier ni en ce qui concerne l’épidémie elle-même, ni en ce qui concerne le vaccin. Ce qui sera accompli afin de permettre d’affronter dans le temps cette épidémie ou une autre conditionne l’avenir.
Si l’on ne veut pas avoir à re-confiner même partiellement, être victime d’un « stop and go » délétère pour notre bien-être et notre économie, ou tout simplement si l’on veut être résilient et se préparer pour l’avenir, si nous ne voulons pas dépenser des sommes colossales sans aucune efficience, nous n’avons alors pas le droit à l’erreur alors que l’efficience de dispositifs de terrain est avérée.
Or le Professeur Piarroux dont les expériences pilote ont démarré en mars, n’a été toutefois reçu pour la première fois par le Conseil scientifique, que le 18 novembre 2020.
En effet, sortant d’une période de confinement marquée par le manque des matériels les plus élémentaires (masques et gel hydro-alcoolique, sur-blouses), nous sommes entrés dès le mois de mai dans la période du tout quantitatif, celle des tests pratiqués en quantité sans priorisation et dont les résultats intervenaient souvent bien trop tard, après la période de contagiosité.
L’objectif principal était avant tout d’atteindre le chiffre d’un million de tests par semaine tel qu’annoncé par le Président de la République et non de tendre vers l’efficacité en termes de santé publique.
En sortant du second confinement nous persistons dans cette approche quantitative dont nous aggravons même les conséquences. Nous passons maintenant au droit pour chacune et chacun d’entre nous d’accéder à des tests dont les résultats sont « rapides » et qui peuvent être réalisés « partout ». Ce sont les fameux tests antigéniques dont on connaît aujourd’hui pourtant le peu de fiabilité avérée (35 à 50%) et qui, en cas de « positivité » doivent être doublés d’un test PCR.
Peu importe si on le fait au mauvais moment. Peu importe si des faux négatifs ou des faux positifs sont produits. Peu importe que ces tests ne soient pas d’utilité pour détecter les cas contacts.
L’important c’est que le résultat du test arrive très vite ;
Or à quoi sert de pratiquer massivement des tests sans priorisation et dont le résultat est aussi aléatoire ?
En revanche le vaccin anti-covid nous est annoncé pour janvier.
Le Président de la République n’est pourtant pas très rassurant quant à l’efficacité du vaccin et sa disponibilité lorsqu’il indique lui-même lors de son interview à Brut le 4 décembre : « Il faut être très honnête et très transparent, on ne sait pas tout sur ce vaccin comme on ne sait pas tout sur le virus » (…) « C’est contre-productif de rendre la vaccination obligatoire sur des vaccins que l’on connait mal et sur une pathologie que l’on connait mal. » et qui ajoute : « Le vaccin d’avril ne sera pas celui de janvier ».
Il semble donc que des réponses qui se veulent avant tout « politiques » soient ainsi apportées à des problématiques concrètes de terrain qui souffrent en retour de l’absence de solutions opérationnelles et de mesures ayant un véritable impact.
Des outils avant tout de communication face à une pandémie qui fait aussi des ravages psychiques, économiques et sociaux bien réels.
A l’heure où la défiance, qui se nourrit des mensonges accumulés, des contradictions et des incohérences, se développe à grande échelle, l’incapacité de construire à échelle humaine, en partant des expériences de terrain, des spécificités territoriales et de la manière dont se fait la circulation du virus risquent pourtant de nous amener droit dans le mur. D’autant plus que cette crise sanitaire est accompagnée de la remise en cause de nos valeurs les plus essentielles.
Si les mots sont forts c’est que la compréhension de la situation par celles et ceux qui nous dirigent, est déconnectée d’une large partie des réalités sous toutes leurs formes. Cela à l’heure où il est devenu fondamental d’intégrer la complexité sur le terrain et la nature des comportements humains.
Affronter les temps de crise, c’est affronter à la fois l’urgence, le moyen terme et le long terme, c’est se donner les moyens d’anticiper y compris face à l’imprévu en se donnant les moyens de le réduire au maximum à ce qui est totalement imprévu.
Or ce qui nous est proposé c’est quoi exactement ? De ne pas mettre l’énergie et les moyens au bon endroit.
C’est tout d’abord de relancer l’application numérique rebaptisé pour l’occasion TousAntiCovid.
Avec à nouveau un objectif déconnecté de la réalité et de l’efficience puisque la priorité est de communiquer sur le nombre de téléchargements réalisés dans le seul but de se féliciter de son succès.
Peu importe que l’on recoure à des « astuces » pour attirer celles et ceux qui vont télécharger en proposant des « plus » à travers des services additionnels comme l’accès à un test. Peu importe que l’on s’éloigne du véritable objectif sanitaire qui est de renforcer la capacité de cette application à casser les chaînes de contamination.
Car ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que le nombre de téléchargements est une condition par nature essentielle mais totalement insuffisante pour que l’application puisse remplir son véritable rôle.
En effet, avec plus de 9 millions de téléchargements comme s’en est félicité le Président de la République, seules 14 000 personnes positives à la Covid 19 avaient pourtant reporté le résultat de leur test dans l’application pour que cette dernière alerte les personnes contact. Plus de 10 millions de téléchargements à ce jour, seulement 50 000 déclarations.
Il suffit pourtant de tirer les leçons des pays comme l’Allemagne ou l’Australie, plus en avance que nous sur le nombre de téléchargements, pour mieux comprendre. Ces pays ont abandonné l’idée de promouvoir massivement leurs applications numériques malgré le nombre important de téléchargements (18 millions de téléchargements pour l’Allemagne, 10 millions pour l’Australie).
Confrontée à la faiblesse des déclarations des cas de contamination, l’association allemande des médecins du public avait ainsi tenu à indiquer que « dans ces conditions cette solution ne joue quasiment aucun rôle ».
Par ailleurs, comme nous le savons cette application mise sur le bluetooth, or il peut être désactivé. Un risque d’autant plus accru dans l‘hypothèse de la mise en place de « mesures de contrôle obligatoires de l’isolement ». Quant au cas où l’environnement est saturé, comme le métro avec la présence d’un nombre important de smartphones, le risque est fort cette fois-ci de ne pouvoir identifier son voisin.
A l’inverse lorsque vous êtes chez vous avec l’application française vous pouvez être déclaré cas contact si votre voisin est positif alors qu’un mur de séparation existe entre vous !
Mais ce qui devient plus inquiétant c’est que le Secrétaire d’état au numérique tente par tous les moyens de faire du téléchargement de cette application une obligation pour pouvoir se rendre dans un restaurant, lorsqu’ils rouvriront, ou dans une grande surface afin de faire gonfler le nombre de téléchargements.
Une initiative totalement contre-productive qui risquerait de transformer les restaurateurs en vigiles, ce qu’ils ne peuvent accepter, et d’en dissuader plus d’un, dont les jeunes, de se rendre au restaurant lorsqu’ils auront enfin ré-ouverts. Ce qui serait un comble !
Enfin, il n’existe aucun suivi du peu d’individus contaminés ayant reporté leur positivité dans l’application et encore moins des cas contacts identifiés.
Si l’on évoque de surcroît le fait que les personnes les plus vulnérables, les plus âgées ou les plus démunies, ont très peu recours à des smartphones donc au bluetooth, que l’application dont le Premier Ministre vantait l’utilité dans le métro devient inefficiente lorsque ce dernier est bondé du fait du brouillage des informations, on a vite compris que les énergies ne sont pas obligatoirement mises au bon endroit.
La démonstration de l’incapacité d’une telle application en France à casser les chaînes de contamination devrait donc être rapidement faite par honnêteté vis-à-vis des Françaises et des Français. Persister à s’entêter n’est pas rassurant et grignote un peu plus la confiance.
A ce titre on oublie très facilement par ailleurs que si les autres applications notamment allemandes et australiennes ont privilégié un système décentralisé où les smartphones se parlent entre eux pour privilégier la confiance, la France quant à elle, a choisi de centraliser son système. Toutes les informations remontent à un serveur qui peut donc plus facilement subir une attaque extérieure.
Mais le Président, le Gouvernement, relayés opportunément par des propositions de résolution ou des propositions de loi, s’apprêtent à aller beaucoup plus loin encore en proposant un nouveau dispositif qui permettrait « enfin » à ses yeux, en recours ultime, de casser les chaînes de contamination.
Ce dispositif se traduirait par la mise en place de mesures de contrôle de l’isolement assorties de sanctions.
Il porte pourtant également en lui tous les ingrédients de l’échec annoncé et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’écrire cet éditorial car il est essentiel d’infuser un certain nombre d’éléments dans le débat bien avant qu’il se déroule.
Ce qui nous est proposé à travers ces mesures, dont l’une a d’ores et déjà été adoptée par les déput.é.es, c’est le principe du dépistage dit « systématique » et de l’isolement obligatoire. Ou plus précisément un isolement « rendu » obligatoire par des mesures de contrôle suivies de très fortes sanctions pécuniaires en contrepartie d’une rémunération de celle ou celui qui a bien voulu « s’isoler » et « donner » ses contacts. Le tout « habillé » d’une invitation à un accompagnement humain par une réserve sanitaire qui a montré en partie ses limites.
Dans une interview à l’Express le 30 novembre, du Pr Piarroux et du Président du Groupe AGIR à l’Assemblée nationale, on découvre que cet accompagnement humain se traduira par la mise à disposition dans les 15 jours de l’adoption de cette proposition de loi, de 5000 référents santé appelés pour l’occasion des «Protecteurs».
Pourtant qui se souvient aujourd’hui des « anges gardiens » annoncés par le Premier Ministre de l’époque, le nom qui avait alors été donné aux personnels de l’Assurance Maladie, vite saturés, auxquels il est dorénavant demandé de ne pas passer plus de 10 minutes au téléphone avec les personnes contaminées et de n’envoyer des SMS qu’aux cas contacts identifiés.
On nous propose donc à nouveau une méthode inefficiente qui, de plus, nous conduit vers un modèle de société assez anxiogène.
On nous annonce un « débat démocratique » au Parlement sous l’emprise d’une majorité qui vote quasiment en bloc comme en témoigne l’incroyable « débat » autour de l’article 24 de la proposition de loi sécurité globale, qui ne doit son éventuelle « totale réécriture » donc sa « remise en cause » que du fait des événements qui sont advenus, des images chocs et des dizaines de milliers de citoyens dans la rue. Nous passons ainsi d’un émotionnel à un autre, donc d’une rédaction de texte à une autre, suivant l’actualité du moment, les ressentis et les enjeux électoraux.
Le Gouvernement avance « masqué », grâce à cette très opportune proposition de loi du groupe AGIR.
Proposition de loi travaillée avec le gouvernement dans un objectif de débat qui « obligera le Parlement à prendre ses responsabilités » et évitera au gouvernement à la fois d’être en première ligne en termes de responsabilité - une forme de sous-traitance de la responsabilité politique et juridique - et de déposer un projet de loi qui obligerait par ailleurs à une étude d’impact et un avis du Conseil d’État.
Le même dispositif que celui qui nous a été proposé pour la proposition de loi sur la sécurité globale.
Il y a urgence car le dispositif est demandeur de ressources humaines et est d’autant plus efficient en période d’accalmie. Cela suppose d’intégrer la notion de temps, cela ne se fait pas en 15 jours ! On aurait dû y travailler de manière constante sur tout le territoire depuis le mois d’avril. Il n’est pas trop tard mais cela suppose de mettre en place une coopération entre des acteurs qui travaillent souvent en silo, de prendre en compte le fait que tous les territoires ne sont pas dotés du même niveau de ressources et de structuration.
Cela demande de l’énergie et de l’humanité.
Cela demande une volonté politique au plus haut.
Mais cela a réussi, là où il y a eu une volonté et une détermination, au plus proche du terrain. C’est donc dès maintenant que l’on doit s’employer à construire son déploiement pour tenir la distance.
Vous communiquer cette note dès maintenant c’est aussi permettre, puisque « débat » il y aurait, de ne pas être enfermé dans une rhétorique délétère qui fait reposer l’échec de la politique de dépistage sur les seuls citoyens et qui rend celles et ceux qui seraient opposés à l’isolement obligatoire complices du pire. Car là encore ce que l’on essaye de nous dire, comme le Secrétaire d’état au numérique Cédric O l’avait expliqué en son temps dans l’hémicycle à propos de StopCovid : « choisir de priver les volontaires qui le souhaiteraient de bénéficier de la protection de cette application, c’est, dans ce cas, accepter le risque conséquent et, pour le dire plus crûment, les contaminations supplémentaires, les malades supplémentaires, les morts supplémentaires et le risque de re-confinement supplémentaire. »
Il nous est aujourd’hui expliqué que proposer l’isolement obligatoire, ce serait reprendre les « bonnes pratiques » d’autres pays.
A-t-on vraiment vérifié dans les détails ?
Au Royaume-Uni, la courbe de l’épidémie à Liverpool est supérieure à celle de Manchester. Or à Liverpool il y a eu dépistage massif et isolement obligatoire ce qui n’a pas été le cas à Manchester. Pourtant le pays est cité en exemple.
En Slovaquie où le dépistage a été massif et l’isolement rendu obligatoire, il n’y a que 40% de baisse de la courbe de l’épidémie.
A Paris, nous sommes à 90 % de baisse et 80% dans le reste de la France cela sans isolement obligatoire.
Les pays qui sont mis en avant comme ayant déployé des politiques de traçage obligatoire, sont soit des pays dont les modèles sont éloignés des nôtres, soit des pays qui sont avant tout en échec face à l’épidémie.
Nous sommes en France, nous devrions être fiers d’opposer un autre modèle, celui qui repose sur la confiance et l’expérience de terrain, qui repose sur des méthodes pragmatiques qui ont prouvé leur efficience.
Nous sommes fiers de brandir la laïcité, la liberté d’expression et d’opinion comme « modèle unique à vocation universelle ». Nous y portons cependant, chaque jour, sur notre propre sol des coups de boutoir.
Multiplier les dispositifs inefficients c’est faire un choix, celui de refuser de donner une chance aux dispositifs qui permettent de rétablir la confiance, et qui sont quant à eux efficients. Il nous faut à la fois éviter les « stop and go » et construire notre résilience.
Sur ce sujet comme sur les autres, il est temps que nous soyons de plus en plus nombreux à empêcher le « paquebot France » d’aller tout droit dans l’iceberg.
Il est encore temps de changer de trajectoire. Mais le temps nous est compté.
Cela suppose aussi de sortir de la « matrice » : pour cela il ne faudra pas un Néo mais bien des Néo. C’est toutes et tous ensemble que nous devons résister et réagir.
Si l’on veut réellement mettre un terme à ce jour sans fin qui obscurcit l’horizon, si nous voulons redonner de l’espoir au quotidien, affronter l’avenir, c’est notre devoir d’ouvrir les yeux et de sortir des chemins battus.
Dans une interview au journal Le Point le 5 décembre Marc Fesneau, Ministre des Relations au Parlement, se permettait, dans un moment particulièrement délicat, cette provocation : « Si nous sommes des amateurs, alors où sont les professionnels ? Dans les rangs de l’opposition, cela m’avait échappé ».
Alors c’est aussi en partie pour lui répondre que j’ai décidé de partager cette analyse.
Frédérique Dumas
L’isolement rendu « obligatoire » par des mesures de contrôle coercitives, une dangereuse « fausse bonne idée ».
On nous annonce un « débat démocratique » en janvier sur l’isolement rendu « obligatoire » en vue d’un déconfinement plus généralisé.
J’ai donc décidé de vous transmettre la note élaborée par le Professeur Renaud Piarroux, épidémiologiste, infectiologue, chef de service de parasitologie et de mycologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et Leïla Del Rouich. Cliquer ici pour lire la note
Cette note explique cliniquement pourquoi et comment la politique menée jusqu’à présent n’a pas permis de rompre les chaînes de contamination et décrit comment une méthode qui a été expérimentée et qui a fait ses preuves pourrait être efficace s’il y avait une vraie volonté de la généraliser.
Le Professeur Piarroux a en effet mis en place depuis mars une expérimentation qui a fait ses preuves et qui est maintenant plus connue sous le nom de COVISAN.
COVISAN à Paris, Aubervilliers et Colombes, CORHESAN à Marseille, YANACOV à Cayenne et en Guyane, peu importe le nom, c’est la même méthode, elle fonctionne. Elle repose sur la coopération et sur la confiance.
Le Professeur Piarroux est « le seul Général à avoir gagné une bataille » en matière sanitaire, celle de l’élimination de l’épidémie de choléra en Haïti.
Alors je propose de lui faire confiance et comme il le dit si bien avec beaucoup d’humanité :
« La confiance se perd facilement. Commençons à être subtils, et nous aurons de bien meilleurs résultats ».
J’en profite par ailleurs pour livrer de mon côté ma propre analyse du premier dé-confinement et des modalités qui s’annoncent pour le deuxième, à la lumière de mes expériences de terrain et de mes rencontres :
Dès le 27 avril à la veille du discours du Premier Ministre sur la stratégie nationale de dé-confinement, j’écrivais une tribune mettant en avant les raisons de l’échec annoncé de l’application Stop Covid et la nécessité de privilégier des méthodes qui ont fait leurs preuves sur le terrain : celles qui replacent la confiance et les interactions humaines au centre de la politique de rupture des chaînes de contamination.
Je mettais alors en avant l’expérimentation lancée par le Professeur Renaud Piarroux. Méthode qui allait devenir plus connue sous le nom de COVISAN.
Le 28 avril, dans son discours devant la représentation nationale, le Premier Ministre décrivait assez bien la problématique mais réduisait l’espoir de créer une véritable dynamique de terrain.
Le choix était fait de placer la Caisse d’Assurance Maladie au centre de la politique sanitaire, un système centralisé et vertical qui allait malheureusement devenir dans la pratique l’unique pilier sur lequel allait reposer la politique de dépistage.
Saturé et dépourvu de tout accompagnement humain sur le terrain, il allait vite s’avérer inadapté.
Quant à l’application numérique Stop Covid lancée en juin et présentée comme « une brique » essentielle de la politique permettant de rompre la chaîne de contamination, son échec, pourtant annoncé, allait devoir être officialisé par le Premier Ministre lui-même dès octobre.
Rien n’était alors mis en œuvre pour promouvoir ce qui consiste en une approche ciblée des cas et l’application des mesures de suivi étroit des patients sur le terrain.
Le 14 octobre, lors de son intervention télévisée, le Président de la République lui-même était bien obligé de reconnaître en creux l’échec de la politique de dépistage lors de son intervention télévisée, comme en témoignait Dominique Castogliola, épidémiologiste et directrice de recherches à l’INSERM, sur la matinale de France inter le 23 novembre :
« On a trop cru que dépister c'était faire un acte de biologie médicale, et puis que ça suffisait et que derrière tout allait, mais pas du tout. Comment vous faites pour accompagner concrètement une personne à qui vous annoncez un test positif, pour qu'elle puisse protéger les gens qu'elle côtoie et ne pas les infecter ? Comment vous repérez qui l'a contaminée pour essayer d'explorer la chaîne ? Comment vous contactez qui sont ses contacts et à nouveau ces gens-là, il ne faut pas juste leur envoyer un SMS, il faut leur parler, discuter avec eux, quelles sont les mesures à prendre dans leur situation particulière. Ça n'est pas pareil si j'habite tout seul dans 100m2 et si on est 5 dans 50m2 ».
Quelles leçons allaient en être tirées ?
Le mantra désormais habituel du Président de la République : "Garder le cap, aller plus vite et plus fort". L’infanterie suivra. Sans se préoccuper de la « mécanique » ou de la « logistique ». Bref, « more of the same » selon la fameuse formule. Et malheureusement « plus » de ce qui n’a pourtant pas marché.
En effet huit mois après, non seulement ceux qui nous dirigent n’ont pas tiré les leçons du passé mais ils s’apprêtent à faire une seconde erreur beaucoup plus grave encore, celle du dépistage systématique sans priorisation sur la base de tests non fiables et de l’isolement obligatoire. Relayés en cela par certains groupes à l’Assemblée Nationale.
Si le Président de la République part de constats justes, les conclusions qu’il en tire ne reposent pas véritablement sur une appréciation, quant à elle, juste de la réalité de la situation : manque de fiabilité des tests, non prise en compte concrète de la période pendant laquelle s’inscrit le risque de contagiosité, simplification de la signification du mot « isolement », méconnaissance de la manière dont se réalise la circulation du virus, et donc de ce qu’il faudrait effectivement faire pour casser la chaîne de contamination.
L’isolement peut prendre des formes multiples et ne signifie pas obligatoirement « rester chez soi ». On peut d’ailleurs rester chez soi et continuer à contaminer. On peut aller travailler et pourtant protéger celles et ceux qui nous entourent. Pour ajuster au plus près et être efficient, l’accompagnement humain est donc indispensable. En revanche rendre obligatoire l’isolement est une « fausse bonne idée » comme le démontre le Professeur Piarroux et conduirait surtout à l’inverse du résultat espéré.
Si l’on s’apprête « en théorie » à promouvoir la notion d’accompagnement à travers la réserve sanitaire, c’est en associant intellectuellement la méthode du Pr Piarroux à des mesures de contrôle obligatoires et coercitives. C’est pourtant le contraire de l’essence même de sa méthode.
Or l’enjeu est crucial. Nous allons commencer partiellement à dé-confiner mi-décembre. Nous n’avons aucune visibilité pour janvier ni en ce qui concerne l’épidémie elle-même, ni en ce qui concerne le vaccin. Ce qui sera accompli afin de permettre d’affronter dans le temps cette épidémie ou une autre conditionne l’avenir.
Si l’on ne veut pas avoir à re-confiner même partiellement, être victime d’un « stop and go » délétère pour notre bien-être et notre économie, ou tout simplement si l’on veut être résilient et se préparer pour l’avenir, si nous ne voulons pas dépenser des sommes colossales sans aucune efficience, nous n’avons alors pas le droit à l’erreur alors que l’efficience de dispositifs de terrain est avérée.
Or le Professeur Piarroux dont les expériences pilote ont démarré en mars, n’a été toutefois reçu pour la première fois par le Conseil scientifique, que le 18 novembre 2020.
En effet, sortant d’une période de confinement marquée par le manque des matériels les plus élémentaires (masques et gel hydro-alcoolique, sur-blouses), nous sommes entrés dès le mois de mai dans la période du tout quantitatif, celle des tests pratiqués en quantité sans priorisation et dont les résultats intervenaient souvent bien trop tard, après la période de contagiosité.
L’objectif principal était avant tout d’atteindre le chiffre d’un million de tests par semaine tel qu’annoncé par le Président de la République et non de tendre vers l’efficacité en termes de santé publique.
En sortant du second confinement nous persistons dans cette approche quantitative dont nous aggravons même les conséquences. Nous passons maintenant au droit pour chacune et chacun d’entre nous d’accéder à des tests dont les résultats sont « rapides » et qui peuvent être réalisés « partout ». Ce sont les fameux tests antigéniques dont on connaît aujourd’hui pourtant le peu de fiabilité avérée (35 à 50%) et qui, en cas de « positivité » doivent être doublés d’un test PCR.
Peu importe si on le fait au mauvais moment. Peu importe si des faux négatifs ou des faux positifs sont produits. Peu importe que ces tests ne soient pas d’utilité pour détecter les cas contacts.
L’important c’est que le résultat du test arrive très vite ;
Or à quoi sert de pratiquer massivement des tests sans priorisation et dont le résultat est aussi aléatoire ?
En revanche le vaccin anti-covid nous est annoncé pour janvier.
Le Président de la République n’est pourtant pas très rassurant quant à l’efficacité du vaccin et sa disponibilité lorsqu’il indique lui-même lors de son interview à Brut le 4 décembre : « Il faut être très honnête et très transparent, on ne sait pas tout sur ce vaccin comme on ne sait pas tout sur le virus » (…) « C’est contre-productif de rendre la vaccination obligatoire sur des vaccins que l’on connait mal et sur une pathologie que l’on connait mal. » et qui ajoute : « Le vaccin d’avril ne sera pas celui de janvier ».
Il semble donc que des réponses qui se veulent avant tout « politiques » soient ainsi apportées à des problématiques concrètes de terrain qui souffrent en retour de l’absence de solutions opérationnelles et de mesures ayant un véritable impact.
Des outils avant tout de communication face à une pandémie qui fait aussi des ravages psychiques, économiques et sociaux bien réels.
A l’heure où la défiance, qui se nourrit des mensonges accumulés, des contradictions et des incohérences, se développe à grande échelle, l’incapacité de construire à échelle humaine, en partant des expériences de terrain, des spécificités territoriales et de la manière dont se fait la circulation du virus risquent pourtant de nous amener droit dans le mur. D’autant plus que cette crise sanitaire est accompagnée de la remise en cause de nos valeurs les plus essentielles.
Si les mots sont forts c’est que la compréhension de la situation par celles et ceux qui nous dirigent, est déconnectée d’une large partie des réalités sous toutes leurs formes. Cela à l’heure où il est devenu fondamental d’intégrer la complexité sur le terrain et la nature des comportements humains.
Affronter les temps de crise, c’est affronter à la fois l’urgence, le moyen terme et le long terme, c’est se donner les moyens d’anticiper y compris face à l’imprévu en se donnant les moyens de le réduire au maximum à ce qui est totalement imprévu.
Or ce qui nous est proposé c’est quoi exactement ? De ne pas mettre l’énergie et les moyens au bon endroit.
C’est tout d’abord de relancer l’application numérique rebaptisé pour l’occasion TousAntiCovid.
Avec à nouveau un objectif déconnecté de la réalité et de l’efficience puisque la priorité est de communiquer sur le nombre de téléchargements réalisés dans le seul but de se féliciter de son succès.
Peu importe que l’on recoure à des « astuces » pour attirer celles et ceux qui vont télécharger en proposant des « plus » à travers des services additionnels comme l’accès à un test. Peu importe que l’on s’éloigne du véritable objectif sanitaire qui est de renforcer la capacité de cette application à casser les chaînes de contamination.
Car ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que le nombre de téléchargements est une condition par nature essentielle mais totalement insuffisante pour que l’application puisse remplir son véritable rôle.
En effet, avec plus de 9 millions de téléchargements comme s’en est félicité le Président de la République, seules 14 000 personnes positives à la Covid 19 avaient pourtant reporté le résultat de leur test dans l’application pour que cette dernière alerte les personnes contact. Plus de 10 millions de téléchargements à ce jour, seulement 50 000 déclarations.
Il suffit pourtant de tirer les leçons des pays comme l’Allemagne ou l’Australie, plus en avance que nous sur le nombre de téléchargements, pour mieux comprendre. Ces pays ont abandonné l’idée de promouvoir massivement leurs applications numériques malgré le nombre important de téléchargements (18 millions de téléchargements pour l’Allemagne, 10 millions pour l’Australie).
Confrontée à la faiblesse des déclarations des cas de contamination, l’association allemande des médecins du public avait ainsi tenu à indiquer que « dans ces conditions cette solution ne joue quasiment aucun rôle ».
Par ailleurs, comme nous le savons cette application mise sur le bluetooth, or il peut être désactivé. Un risque d’autant plus accru dans l‘hypothèse de la mise en place de « mesures de contrôle obligatoires de l’isolement ». Quant au cas où l’environnement est saturé, comme le métro avec la présence d’un nombre important de smartphones, le risque est fort cette fois-ci de ne pouvoir identifier son voisin.
A l’inverse lorsque vous êtes chez vous avec l’application française vous pouvez être déclaré cas contact si votre voisin est positif alors qu’un mur de séparation existe entre vous !
Mais ce qui devient plus inquiétant c’est que le Secrétaire d’état au numérique tente par tous les moyens de faire du téléchargement de cette application une obligation pour pouvoir se rendre dans un restaurant, lorsqu’ils rouvriront, ou dans une grande surface afin de faire gonfler le nombre de téléchargements.
Une initiative totalement contre-productive qui risquerait de transformer les restaurateurs en vigiles, ce qu’ils ne peuvent accepter, et d’en dissuader plus d’un, dont les jeunes, de se rendre au restaurant lorsqu’ils auront enfin ré-ouverts. Ce qui serait un comble !
Enfin, il n’existe aucun suivi du peu d’individus contaminés ayant reporté leur positivité dans l’application et encore moins des cas contacts identifiés.
Si l’on évoque de surcroît le fait que les personnes les plus vulnérables, les plus âgées ou les plus démunies, ont très peu recours à des smartphones donc au bluetooth, que l’application dont le Premier Ministre vantait l’utilité dans le métro devient inefficiente lorsque ce dernier est bondé du fait du brouillage des informations, on a vite compris que les énergies ne sont pas obligatoirement mises au bon endroit.
La démonstration de l’incapacité d’une telle application en France à casser les chaînes de contamination devrait donc être rapidement faite par honnêteté vis-à-vis des Françaises et des Français. Persister à s’entêter n’est pas rassurant et grignote un peu plus la confiance.
A ce titre on oublie très facilement par ailleurs que si les autres applications notamment allemandes et australiennes ont privilégié un système décentralisé où les smartphones se parlent entre eux pour privilégier la confiance, la France quant à elle, a choisi de centraliser son système. Toutes les informations remontent à un serveur qui peut donc plus facilement subir une attaque extérieure.
Mais le Président, le Gouvernement, relayés opportunément par des propositions de résolution ou des propositions de loi, s’apprêtent à aller beaucoup plus loin encore en proposant un nouveau dispositif qui permettrait « enfin » à ses yeux, en recours ultime, de casser les chaînes de contamination.
Ce dispositif se traduirait par la mise en place de mesures de contrôle de l’isolement assorties de sanctions.
Il porte pourtant également en lui tous les ingrédients de l’échec annoncé et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’écrire cet éditorial car il est essentiel d’infuser un certain nombre d’éléments dans le débat bien avant qu’il se déroule.
Ce qui nous est proposé à travers ces mesures, dont l’une a d’ores et déjà été adoptée par les déput.é.es, c’est le principe du dépistage dit « systématique » et de l’isolement obligatoire. Ou plus précisément un isolement « rendu » obligatoire par des mesures de contrôle suivies de très fortes sanctions pécuniaires en contrepartie d’une rémunération de celle ou celui qui a bien voulu « s’isoler » et « donner » ses contacts. Le tout « habillé » d’une invitation à un accompagnement humain par une réserve sanitaire qui a montré en partie ses limites.
Dans une interview à l’Express le 30 novembre, du Pr Piarroux et du Président du Groupe AGIR à l’Assemblée nationale, on découvre que cet accompagnement humain se traduira par la mise à disposition dans les 15 jours de l’adoption de cette proposition de loi, de 5000 référents santé appelés pour l’occasion des «Protecteurs».
Pourtant qui se souvient aujourd’hui des « anges gardiens » annoncés par le Premier Ministre de l’époque, le nom qui avait alors été donné aux personnels de l’Assurance Maladie, vite saturés, auxquels il est dorénavant demandé de ne pas passer plus de 10 minutes au téléphone avec les personnes contaminées et de n’envoyer des SMS qu’aux cas contacts identifiés.
On nous propose donc à nouveau une méthode inefficiente qui, de plus, nous conduit vers un modèle de société assez anxiogène.
On nous annonce un « débat démocratique » au Parlement sous l’emprise d’une majorité qui vote quasiment en bloc comme en témoigne l’incroyable « débat » autour de l’article 24 de la proposition de loi sécurité globale, qui ne doit son éventuelle « totale réécriture » donc sa « remise en cause » que du fait des événements qui sont advenus, des images chocs et des dizaines de milliers de citoyens dans la rue. Nous passons ainsi d’un émotionnel à un autre, donc d’une rédaction de texte à une autre, suivant l’actualité du moment, les ressentis et les enjeux électoraux.
Le Gouvernement avance « masqué », grâce à cette très opportune proposition de loi du groupe AGIR.
Proposition de loi travaillée avec le gouvernement dans un objectif de débat qui « obligera le Parlement à prendre ses responsabilités » et évitera au gouvernement à la fois d’être en première ligne en termes de responsabilité - une forme de sous-traitance de la responsabilité politique et juridique - et de déposer un projet de loi qui obligerait par ailleurs à une étude d’impact et un avis du Conseil d’État.
Le même dispositif que celui qui nous a été proposé pour la proposition de loi sur la sécurité globale.
Il y a urgence car le dispositif est demandeur de ressources humaines et est d’autant plus efficient en période d’accalmie. Cela suppose d’intégrer la notion de temps, cela ne se fait pas en 15 jours ! On aurait dû y travailler de manière constante sur tout le territoire depuis le mois d’avril. Il n’est pas trop tard mais cela suppose de mettre en place une coopération entre des acteurs qui travaillent souvent en silo, de prendre en compte le fait que tous les territoires ne sont pas dotés du même niveau de ressources et de structuration.
Cela demande de l’énergie et de l’humanité.
Cela demande une volonté politique au plus haut.
Mais cela a réussi, là où il y a eu une volonté et une détermination, au plus proche du terrain. C’est donc dès maintenant que l’on doit s’employer à construire son déploiement pour tenir la distance.
Vous communiquer cette note dès maintenant c’est aussi permettre, puisque « débat » il y aurait, de ne pas être enfermé dans une rhétorique délétère qui fait reposer l’échec de la politique de dépistage sur les seuls citoyens et qui rend celles et ceux qui seraient opposés à l’isolement obligatoire complices du pire. Car là encore ce que l’on essaye de nous dire, comme le Secrétaire d’état au numérique Cédric O l’avait expliqué en son temps dans l’hémicycle à propos de StopCovid : « choisir de priver les volontaires qui le souhaiteraient de bénéficier de la protection de cette application, c’est, dans ce cas, accepter le risque conséquent et, pour le dire plus crûment, les contaminations supplémentaires, les malades supplémentaires, les morts supplémentaires et le risque de re-confinement supplémentaire. »
Il nous est aujourd’hui expliqué que proposer l’isolement obligatoire, ce serait reprendre les « bonnes pratiques » d’autres pays.
A-t-on vraiment vérifié dans les détails ?
Au Royaume-Uni, la courbe de l’épidémie à Liverpool est supérieure à celle de Manchester. Or à Liverpool il y a eu dépistage massif et isolement obligatoire ce qui n’a pas été le cas à Manchester. Pourtant le pays est cité en exemple.
En Slovaquie où le dépistage a été massif et l’isolement rendu obligatoire, il n’y a que 40% de baisse de la courbe de l’épidémie.
A Paris, nous sommes à 90 % de baisse et 80% dans le reste de la France cela sans isolement obligatoire.
Les pays qui sont mis en avant comme ayant déployé des politiques de traçage obligatoire, sont soit des pays dont les modèles sont éloignés des nôtres, soit des pays qui sont avant tout en échec face à l’épidémie.
Nous sommes en France, nous devrions être fiers d’opposer un autre modèle, celui qui repose sur la confiance et l’expérience de terrain, qui repose sur des méthodes pragmatiques qui ont prouvé leur efficience.
Nous sommes fiers de brandir la laïcité, la liberté d’expression et d’opinion comme « modèle unique à vocation universelle ». Nous y portons cependant, chaque jour, sur notre propre sol des coups de boutoir.
Multiplier les dispositifs inefficients c’est faire un choix, celui de refuser de donner une chance aux dispositifs qui permettent de rétablir la confiance, et qui sont quant à eux efficients. Il nous faut à la fois éviter les « stop and go » et construire notre résilience.
Sur ce sujet comme sur les autres, il est temps que nous soyons de plus en plus nombreux à empêcher le « paquebot France » d’aller tout droit dans l’iceberg.
Il est encore temps de changer de trajectoire. Mais le temps nous est compté.
Cela suppose aussi de sortir de la « matrice » : pour cela il ne faudra pas un Néo mais bien des Néo. C’est toutes et tous ensemble que nous devons résister et réagir.
Si l’on veut réellement mettre un terme à ce jour sans fin qui obscurcit l’horizon, si nous voulons redonner de l’espoir au quotidien, affronter l’avenir, c’est notre devoir d’ouvrir les yeux et de sortir des chemins battus.
Dans une interview au journal Le Point le 5 décembre Marc Fesneau, Ministre des Relations au Parlement, se permettait, dans un moment particulièrement délicat, cette provocation : « Si nous sommes des amateurs, alors où sont les professionnels ? Dans les rangs de l’opposition, cela m’avait échappé ».
Alors c’est aussi en partie pour lui répondre que j’ai décidé de partager cette analyse.
Frédérique Dumas