Lors de l'examen de cette proposition de résolution européenne, je me suis exprimée au nom de mon groupe Libertés et Territoires. J'ai rappelé que la France serait plus crédible pour défendre le multilinguisme au niveau européen si elle le faisait véritablement au niveau interne. Pour lire l'intégralité de mon intervention, cliquer sur "read more". Pour retrouver l'intégralité du compte-rendu de la réunion de la Commission des Affaires européennes, cliquer ici. Mme Frédérique Dumas (LT). Au sein des institutions européennes, la langue française connaît une perte de vitesse impressionnante. En témoigne le rapport « Diversité linguistique et langue française en Europe » remis le 20 octobre aux secrétaires d’État compétents. En 2018, seuls 2 % des 69 000 documents publiés par le Conseil de l’Union européenne ont été d’abord rédigés en français, contre 95 % en anglais. Quant à la Commission européenne, 7 % des documents envoyés en traduction avaient le français pour langue source, contre 85,5 % pour l’anglais. Au sein du Parquet européen, lancé en juin 2021, l’anglais est la seule langue utilisée. Une autre institution européenne, la Cour des comptes européenne, est passée fin octobre à l’anglais unique, supprimant l’interprétation.
Dans une récente tribune publiée par Le Monde, le philosophe Michel Guérin souligne qu’« une langue n’est jamais seulement une langue, qu’elle enveloppe une vision du monde, qu’elle est porteuse d’habitus et de modes de sentir ». Winston Churchill l’avait bien compris, pour qui « contrôler la langue offre bien plus d’avantages que prendre des provinces ou des pays pour les exploiter ». Face à ce constat accablant, la présidence du Conseil de l’Union européenne devrait être l’occasion d’amorcer un changement de direction. Il est encore possible de remettre le plurilinguisme et la traduction au premier plan. Toutefois, la France serait bien plus crédible pour défendre le multilinguisme au niveau européen si elle le faisait véritablement au niveau interne. Nous demeurons l’un des rares pays de l’Union européenne à ne pas avoir ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, alors que sa ratification est désormais un préalable à l’adhésion de tout nouvel État. La République ne reconnaît qu’une langue officielle, ce qui a pour conséquence la lente disparition de la diversité linguistique interne de la France. La censure partielle par le Conseil constitutionnel de la proposition de loi de Paul Molac relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion en est l’illustration la plus récente. En revanche, l’anglais est de plus en plus utilisé par nos propres institutions et dans l’espace public français. C’est encore davantage le cas depuis le début de la présidence d’Emmanuel Macron, qui dit vouloir faire de la France une start-up nation ; en usant de ce genre de vocables, le Président de la République et les décideurs publics font peu à peu de l’anglais la langue de la réussite sociale. Certaines décisions prises ces dernières années et allant dans le sens de la promotion de l’anglais sont particulièrement inquiétantes. Le 16 mars 2021 a été présentée la nouvelle carte nationale d’identité : pour la première fois, alors que la France interdit un simple tilde sur un prénom breton, tous les intitulés sont traduits en anglais et exclusivement dans cette langue. Pourtant, la directive bruxelloise proposait l’utilisation de la traduction dans deux langues de l’Union européenne – en Allemagne, la carte d’identité nationale est rédigée dans les trois langues officielles de la Commission : l’anglais, l’allemand et le français. Le 4 février 2020 paraissait un arrêté énonçant les règles à respecter pour participer à l’enseignement français à l’étranger, parmi lesquelles « faire valoir un niveau au moins B2 du cadre européen commun de référence pour les langues en anglais », y compris dans les pays francophones. Le 3 avril 2020, un décret et un arrêté ont subordonné l’obtention du brevet de technicien supérieur (BTS) et de la licence à une certification du niveau en anglais. En 2013, la loi Fioraso avait déjà modifié la loi Toubon relative à l’emploi de la langue française pour favoriser l’anglais dans l’enseignement supérieur et la recherche. Mon groupe soutiendra la proposition de résolution, mais regrette qu’elle fasse trop facilement abstraction des devoirs de la France quant à la défense de son multilinguisme interne, constitué des langues régionales, et qu’elle passe sous silence la responsabilité de nos propres institutions publiques dans la diffusion et la promotion de l’anglais.
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